Une vie en trompe-l'oeil - Extrait du roman

Extrait

Voici ci dessous le premier chapitre du roman :

Cela faisait plus d’une semaine que Miguel Casillas déambulait dans les rues de Mérida. Ce n’était pas vraiment difficile pour lui de se fondre dans la masse, compte tenu de la multitude de touristes qui affluaient en cette période estivale pour voir le patrimoine historique de cette ville. Mérida était jadis la capitale de la province romaine de Lusitanie et des vestiges avaient survécu au poids des années. Il lui suffisait de faire mine d’être émerveillé par le théâtre antique et ses grandes colonnes, ou de flâner autour des présentoirs de cartes postales, pour passer inaperçu.

La principale difficulté, dès son arrivée, avait été de fréquenter des personnes intéressantes. Il avait d’abord rencontré un vagabond comme lui, Hicham. Cet homme avait traversé la mer en cachette pour arriver en Europe et errait depuis à la recherche de quelqu’un qui voudrait bien lui donner à manger contre un peu de travail. Hicham avait accepté de partager le peu qu’il avait avec son nouveau compagnon et ils avaient passé plusieurs jours ensemble. Miguel était ensuite tombé sur un clochard, dans le centre commercial ; ils n’étaient pas restés longtemps amis, car le sans domicile fixe, dans un moment d’ivresse, avait essayé de le poignarder. Un jeudi, il avait fait la connaissance de cette petite fille pauvre, à qui il avait acheté une glace et un livre avec de belles images. La petite fille avait adoré ce beau jeune homme brun, aux manières douces et raffinées qui lui conféraient un air légèrement efféminé ; elle exultait également qu’il s’intéresse à elle, elle qui n’intéressait jamais personne. Mais ce n’était pas exactement le genre de rencontre que Miguel cherchait.

Il flânait donc en essayant de comprendre les gens qui l’entouraient. Il avait pour cela de faux papiers et un faux nom, ce qui lui avait rendu un fier service le deuxième jour quand des types en uniforme essayaient de comprendre pourquoi il avait un air un peu ahuri. Miguel se créa peu à peu une vie normale. Il fabriqua de faux justificatifs et de fausses factures, loua un petit studio fort cher au centre ville ; il mangeait au restaurant, visitait le musée national d’art romain, faisait des courses au supermarché, fréquentait de temps à autre un club de sport, se prélassait au cinéma. Comme il ne travaillait pas, il se promenait longuement sur les rives du Guadiana pendant les heures de travail.

Miguel avait été envoyé à Mérida dans le cadre d’une étude psychologique et sociologique. Il devait, durant la période de six mois, étudier le comportement des Estrémadurans et les rapports de forces entre eux. Tout ceci de la façon la plus anonyme possible, c’est pourquoi il devait se fondre dans la masse. La mission lui avait paru fort simple, si bien qu’il l’avait acceptée tout de suite. Comme il était consciencieux, il avait lu avant de partir de nombreux guides touristiques sur la région, avait regardé des photos et lisait chaque jour la presse espagnole avec beaucoup d’intérêt. D’autres de ses collègues avaient été envoyés en divers endroits du globe.

Cependant, ce n’était pas aussi simple que cela paraissait. Les habitants de la ville étaient généralement polis et accueillants, mais il n’arrivait pas à avoir des rapports plus intimes avec eux. Par exemple, s’il demandait l’heure à une dame dans la rue, Miguel arrivait parfois à engager la conversation, mais il ne parvenait jamais à ce qu’elle l’invite à dîner ou même à ce qu’elle accepte de se promener avec lui. Beaucoup de gens avaient l’air sympathique, mais ils étaient pressés : pressés d’aller au travail, pressés d’aller déjeuner, pressés de rentrer à la maison et de retrouver leurs familles et leurs loisirs le soir. Il était donc difficile d’aborder quelqu’un.

Miguel changea de stratégie. Plutôt que de passer ses journées à flâner comme un touriste, en attendant que quelqu’un veuille bien lui parler, il décida de vivre comme les locaux. Il trouva du travail dans une administration, s’inscrivit au club de football local, suivit des cours de peintures. Il se fit donc peu à peu des connaissances autour d’une boisson, dans les vestiaires, devant des esquisses. Quelques-unes de ses connaissances devinrent ainsi un peu plus proches que les autres. Il fréquentait abondamment Maria, une vieille dame fort respectable, secrétaire, qui était fascinée par la culture de Miguel et son envie d’apprendre. Il allait chez elle le samedi pour boire du thé, puis ils se promenaient ensemble dans la ville, avant de s’asseoir sur un banc et de donner à manger aux pigeons. Grâce à elle et à son expérience de vieille femme, il notait chaque jour une multitude d’informations précieuses pour son étude. En échange, il égayait la vieille dame en lui récitant des poésies et la distrayait en racontant les aventures qu’il vivait avec ses coéquipiers de l’équipe de football. Il soupçonnait Maria de ne pas vraiment s’intéresser à toutes ces choses, mais elle avait besoin de compagnie et elle n’aurait pour rien au monde interrompu le discours passionné de cet homme si gentil avec elle. Il fréquentait également un pianiste, rencontré au cours de peinture, ainsi qu’un gros gaillard qui était le gardien de but de son équipe de football. Les deux personnages étaient radicalement opposés : le premier était aussi distingué, poli et réfléchi que le deuxième était grossier, sans-gêne et fonceur. Leur compagnie distrayait beaucoup Miguel et lui permettait d’avancer à grand pas dans son travail.

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